posted by Laila Touhami24/03/2024
Quelle est la procédure au Maroc pour prendre en charge un enfant abandonné ?
Qu’est-ce que la Kafala ?
La Kafala est l'engagement de prendre en charge la protection, l'éducation et l'entretien d'un enfant abandonné, à l’instar des obligations d’un père envers son enfant.
Le législateur marocain interdit formellement l'adoption, comme en témoigne l'article 149, alinéa 1, du Code de la famille marocain du 3 février 2004 : « L'adoption (tabani) est juridiquement nulle et n’entraîne aucun des effets de la filiation légitime ».
Cette interdiction est confirmée par la jurisprudence marocaine qui ne reconnaît aucun effet à l’adoption autorisée à l'étranger.
En revanche, l’article 149, alinéa 2, du même code, permet l'adoption dite de « gratification (Jaza) » ou « testamentaire (Tanzil) », qui place une personne au rang d'un héritier de premier degré sans établir de lien de filiation paternelle, étant soumise aux règles du testament (Wassiya).
Dans l'Islam, la parenté repose uniquement sur le lien du sang, excluant toute institution créant des droits et devoirs familiaux en dehors des bases biologiques.
La Kafala concerne tous les enfants abandonnés (article 1, Loi n° 15-01 du 13 juin 2002).
Est considéré comme tel tout enfant de moins de 18 ans se trouvant dans l'une des situations suivantes :
∙ Né de parents inconnus ou d'un père inconnu et d'une mère connue qui l'a abandonné volontairement ;
∙ Orphelin ou ayant des parents incapables de subvenir à ses besoins ou dépourvus de moyens légaux de subsistance ;
∙ Ayant des parents de mauvaise conduite, ne remplissant pas leur devoir de protection et d'orientation, comme lorsqu’ils sont déchus de la tutelle légale, ou que l’un des deux, après le décès ou l’incapacité de l’autre, se révèle dévoyé et ne s'acquitte pas de son devoir envers l'enfant.
Personnes éligibles :
Les conditions d'éligibilité à la Kafala sont définies par l’article 9 de la loi n° 15-01 du 13 juin 2002. Elles visent à garantir à l’enfant un environnement familial protecteur, respectant les valeurs de l’Islam.
Peuvent prétendre à la Kafala :
Époux musulmans :
Les couples musulmans majeurs, avec ou sans enfants, peuvent obtenir la Kafala sous réserve de répondre aux conditions prévues à l’article 9, à savoir être aptes moralement et socialement, disposer de ressources matérielles suffisantes et ne pas avoir été condamnés pour des infractions portant atteinte à la morale ou commises contre des enfants.
Femme célibataire musulmane :
La femme musulmane célibataire a également le droit de prendre en charge un enfant, si elle répond aux conditions de l’article 9. Cette opportunité n’est pas offerte à l’homme musulman célibataire.
Le Kafil ne jouit pas des mêmes droits que les parents biologiques. Les articles 203 et 204 du Code de la famille relatifs à la pension alimentaire ne s’appliquent pas au Kafil. Cependant, le législateur permet au Kafil de bénéficier des indemnités et allocations sociales allouées aux parents pour leurs enfants par l’État. Le Kafil est un tuteur datif, non un parent légal, et le juge des tutelles demeure le représentant légal de l’enfant.
Obligations :
Le Kafil doit assurer l’entretien, la protection et la garde de l’enfant, veiller à son éducation dans une ambiance saine, et subvenir à ses besoins essentiels (L. Kafala, art. 22).
Le juge des tutelles contrôle la situation de l'enfant et peut annuler la Kafala en cas de manquement (L. Kafala, art. 19).
Responsabilité civile :
Le Kafil est civilement responsable des actes de l'enfant vivant avec lui, conformément à l’article 85 du Dahir des obligations et contrats (L. Kafala, art. 22, al. 5).
L'obligation d'entretien cesse à la majorité légale de l’enfant (18 ans), sauf pour une fille non mariée ou un enfant handicapé.
La Kafala ne crée pas de lien de filiation ni de droits successoraux.
Elle engage le Kafil à entretenir, garder et protéger l'enfant jusqu'à sa majorité légale ou jusqu'au mariage pour une fille.
Le Kafil peut obtenir des allocations sociales similaires à celles des parents (art. 22, Loi n° 15-01 du 13 juin 2002).
L'enfant peut éventuellement prendre le nom du Kafil par décret et,
sous certaines conditions, acquérir la nationalité marocaine (art. 6, Code de la nationalité marocaine).
Le juge des tutelles peut soit maintenir la Kafala, soit prendre des mesures appropriées en cas de dissolution du mariage des Kafils. Le Kafil peut quitter le Maroc avec l’enfant sous réserve de l’autorisation du juge des tutelles (art. 24, Loi n° 15-01 du 13 juin 2002).
La Kafala prend fin pour diverses raisons, notamment :
∙ Majorité de l’enfant.
∙ Décès de l’enfant.
∙ Décès des deux époux ou de la femme assurant la kafala.
∙ Perte de capacité des deux époux ou de la femme assurant la kafala.
∙ Dissolution de l'institution, l'établissement, l'organisme, ou l'association assurant la kafala.
∙ Annulation de la kafala par ordonnance judiciaire suite au manquement du kafil à ses devoirs.art. 25, Loi n° 15-01 du 13 juin 2002).
Première étape
Dépôt d’une requête auprès du président du tribunal de première instance – section du droit de la famille.
Documents nécessaires :
∙ Copie des pièces d’identité.
∙ Extrait intégral de l’acte de naissance des demandeurs.
∙ Acte de mariage des demandeurs.
∙ Copie du livret de famille.
∙ Preuve de ressources financières suffisantes.
∙ Preuve de travail (contrat de travail, bulletins de paie, documents de société pour les associés/actionnaires).
∙ Certificat de propriété ou contrat de bail du domicile.
∙ Casier judiciaire (bulletin n°3).
∙ Copie de l’acte de naissance de l’enfant (le kafil peut l’obtenir).
Deuxième étape
La procédure d’enquête :
Le juge des tutelles fait mener une enquête par une commission mixte pour vérifier le respect des conditions de la kafala.
Le juge rend une ordonnance désignant le kafil comme tuteur de l’enfant, susceptible d’appel.
L’ordonnance est exécutée sous 15 jours par le tribunal de première instance. Un procès verbal de remise de l’enfant est dressé.
Troisième étape
Contrôle continu :
∙ Le juge des tutelles contrôle l’évolution de la situation de l’enfant et le respect des obligations du kafil.
∙ Le juge peut annuler la kafala en cas de manquement et prendre toutes mesures nécessaires dans l’intérêt de l’enfant.
∙ Aucun droit à la filiation ni à la succession.
∙ Obligation d’entretien de l’enfant jusqu’à sa majorité légale ou son mariage, et au-delà pour les enfants handicapés/incapables.
∙ Le kafil est civilement responsable des actes de l’enfant.
∙ Possibilité pour l’enfant de prendre le nom du kafil sous certaines conditions.
∙ Acquisition de la nationalité marocaine possible pour les enfants pris en charge à l’étranger par un kafil marocain après 5 ans.
∙ Les dispositions du Code pénal s’appliquent aux infractions commises par ou contre l’enfant.
La Kafala est une forme de prise en charge des enfants abandonnés qui ne crée pas de liens de filiation comme l'adoption, mais offre une protection, une éducation, et un entretien à l'enfant dans le respect des valeurs de l'Islam.
La différence principale avec l'adoption réside dans le fait que la Kafala ne permet pas de liens de filiation ou de droits successoraux.
Les procédures de Kafala exigent une approbation judiciaire après vérification de l'aptitude des Kafils potentiels, garantissant ainsi que l'enfant bénéficiera d'un environnement familial sécurisé et conforme aux principes islamiques.
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